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Cet article s'adresse à tout ceux qui ont connu la boutique de jeux que j'ai tenté de faire vivre pendant vingt mois. Il s'adresse aussi à tout ceux qui se posent des questions sur une telle entreprise.
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Jeu joue donc jeu suis, la boutique… c'est fini ! |
La boutique ne rouvrira pas, c'est certain maintenant. J'avais espéré procéder à un déménagement rapide dans une autre ville, mais les difficultés sont nombreuses, les incertitudes trop menaçantes et surtout, le risque financier est beaucoup trop lourd.
Lorsque j'ai commencé ma boutique, je venais de quitter un emploi stable et très bien rémunéré. J'ai tout laissé tomber pour réaliser un rêve : vivre ma passion du jeu. À l'heure où j'écris cet article, j'ai tout perdu. Ma boutique ne vivra plus, et toutes mes économies ont été dépensées pour que je puisse continuer à payer mes factures et assurer mes dépenses courantes pendant cette période en tant qu'indépendant.
Une boutique de jeux ? À Frameries ? |
J'assume mes responsabilités pour cet échec. Le choix de Frameries est plus que discutable comme lieu d'implantation et même si ce constat est évident pour qui connaît un peu la région, je ne m'en rendais pas compte à l'époque et je me suis laissé abuser par certaines promesses que l'on m'a faites. Inexpérience, naïveté, optimisme, un cocktail qui m'a mené à la présente situation. Mais pas seulement…
Être indépendant en Belgique. |
Un autre aspect important qui entre en compte. Dans notre climat de crise économique, j'ai créé un emploi. Le mien. Je n'étais à la charge de personne, je ne faisais pas partie des statistiques du chômage. Mais même si j'aide l'État, l'État, lui, ne m'aide pas. Les charges sont importantes, cotisations sociales, impôts, TVA à payer. Même si je suis conscient de l'utilité et du bien-fondé de ces charges, elles étouffent une jeune entreprise qui souhaite se développer.
Parce qu'il n'y a pas que cela. Assurances, loyer et frais publicitaires s'ajoutent aux commandes hebdomadaires aux différents distributeurs. Les frais sont connus, prévisibles et inévitables. Les rentrées d'argent sont incertaines et imprévisibles. Les bénéfices, eux, sont trop faibles pour que j'en parle ici.
La condition du commerce de proximité. |
Je suis convaincu que nous sommes actuellement dans une période de transition. Les commerces locaux, indépendants, tenus par des passionnés disparaissent, que ce soit dans les grands centres urbains ou dans les villes de taille plus modestes.
Je prévois un changement radical dans nos habitudes de consommer d'ici à cinq ans. Le commerce sur Internet devient de plus en plus facile, sécurisé et surtout dans l'opinion publique, cela devient normal.
Localement, les rues commerçantes se vident pour n'accueillir que des boutiques de type night shop ou de matériel pour téléphones portables. Les pouvoirs locaux préfèrent souvent promouvoir les grands complexes commerciaux dans lesquels on retrouve les mêmes enseignes, quelque soit la ville. Ces commerces ne sont pas tenus par de véritables indépendants, les loyers y sont tellement élevés que seuls de grandes marques peuvent les occuper.
Les propriétaires de surfaces commerciales contribuent à la mort du commerce local en continuant d'augmenter les loyers sans tenir compte de la réalité. Beaucoup préfèrent les laisser inoccupées que de baisser le prix. Et tout cela fait fuir les gens qui ne veulent plus se déplacer dans une rue où une part importante de surfaces vides en diminue l'attrait.
La concurrence |
Le monde du jeu n'est pas tout rose, non. Nous ne sommes pas tous des amis œuvrant main dans la main pour promouvoir notre passion. La Belgique est densément peuplée, le territoire est petit et les boutiques déjà trop nombreuses.
La concurrence est là, à tout niveau. Guerre des prix sur un produit en particulier, promesse d'aide qui n'arrive pas, organisations d'évènements le même jour. C'est toujours l'ancien qui aura l'avantage sur le nouveau qui essaie de se développer.
Et il y a les grandes surfaces ou commerces assimilés. Certains distributeurs n'hésitent plus à fournir de grandes enseignes à des prix impossibles à tenir pour un indépendant. Et rappelez-vous qu'en Belgique, un petit indépendant n'est jamais bien loin d'un grand magasin qui propose également des jeux de société modernes.
La marge bénéficiaire est bien trop faible pour pouvoir offrir des réductions de prix. Une carte de fidélité pour les clients est un coût à assurer, la moindre réduction fait fondre les minces perspectives de bénéfices.
C'est le côté pervers du monde du jeu de société. Les boutiques spécialisées font tout pour promouvoir les vrais jeux que l'on aime. Et plus le grand public nous rejoint dans notre passion, plus le secteur est attractif pour les grands commerces, et les boutiques spécialisées sont d'autant plus affaiblies par le manque de soutien des distributeurs.
Elle va me manquer cette boutique. |
Voici les raisons qui m'amènent à vous écrire ceci. Avec quelques petits détails, cela aurait pu être différent. D'autres choix que ceux que j'ai fait auraient été plus favorables ou judicieux, mais la situation est telle qu'elle est. C'est mon histoire, personnelle. Je ne doute pas que d'autres réussiront là où j'ai échoué, ailleurs, différemment.
Tout n'a pas été noir dans cette expérience. J'ai fait des rencontres enrichissantes, une partie de mes clients sont devenus des amis. J'ai organisé des évènements qui ont connu un succès gratifiant. Accueillir Pearl Games pour la sortie de l'Auberge sanglante ou des séances de tests de prototypes. Accueillir les auteurs de Keep Cool pour une soirée. Organiser des journées dédiées aux prototypes avec des auteurs inconnus. Organiser des tournois réguliers où des joueurs venant de Namur, Liège, ou même Anvers viennent passer la journée. Les soirées jeux mensuelles. Et tout simplement, les démos que j'organisais chaque samedi autour d'un jeu. Ou bien encore les parties improvisées lorsque vous arriviez en me demandant si j'avais un peu de temps pour jouer.
Voilà ce qui restera gravé dans ma mémoire. Des joueurs, chez moi, qui s'amusent. Il n'y a rien de mieux. VOUS allez me manquer.